Dévoilement de ma nouvelle oeuvre Kehlen Jenisch Kehlen à la Galerie R3 de l’UQTR

Je suis heureux de vous partager un projet sur lequel je travaille depuis plusieurs mois, à la croisée de l’histoire, de la mémoire et de ma propre identité yéniche : Kehlen Jenisch Kehlen.

Tout a commencé par une photographie de Conrad Poirier (1912-1968) intitulée Gypsy Dance Gypsy conservée à Bibliothèque et Archives nationales du Québec / Grande Bibliothèque et datée de 1939. On y voit une troupe en « costume tzigane » lors d’une représentation à Montréal. Aucun autre renseignement sur cette troupe. Seulement une image, figée, sans voix. En parallèle, j’ai découvert une vidéo d’archives du British Pathé, également intitulée Gypsy Dance Gypsy, tournée la même année à New York. On y observe une communauté de voyageurs-euses dansant sur des toits d’immeubles, sous le regard d’une caméra occidentale avide d’exotisme.

Ces documents m’ont violemment confronté à la manière dont nos identités ont été (et sont encore) représentées : stéréotypées, folklorisées, marginalisées. Le contexte historique – 1939, l’année où débute l’extermination des communautés nomades durant la Seconde Guerre mondiale – donne à ces archives un poids supplémentaire, une charge mémorielle que je ne pouvais ignorer.

J’ai donc choisi de réinterpréter ces archives en les hybridant à ma propre image, à ma propre voix. L’installation que je propose mêle projections, sons, archives retravaillées, tulle, ceinture fléchée, et une photographie de moi-même, nu et allongé, marquée de rouge sang sur le visage et les pieds. Un corps vulnérable, blessé, mais présent au cœur même de l’image.

Le rouge sang, ajouté numériquement, vient souligner la violence des représentations, la douleur inscrite dans les silences de l’histoire. La superposition des images, des textures et des temporalités crée un effet fantomatique : les spectres des victimes oubliées, les voix étouffées, mais aussi les présences qui résistent.

Un extrait du film Il était une fois dans l’est d‘André Brassard en collaboration avec Michel Tremblay, comportant un célèbre « T’as l’air d’une Gypsy », vient hanter l’espace sonore, en écho aux attentes des cultures dominantes, à la manière dont les identités sont façonnées, assignées, travesties.

Les spectateur-trices sont invité-es à déambuler dans l’installation, à se déplacer entre les plans, entre les couches de mémoire, entre les images fantômes et les sons persistants. À danser, peut-être, avec cette histoire qui n’est pas que mienne, mais qui nous concerne toutes et tous.

Kehlen Jenisch Kehlen, c’est une danse de mémoire, un geste de réappropriation, un cri visuel et sonore contre l’effacement.

Merci à toutes les personnes qui soutiennent ce travail de recherche-création, et à la Galerie R3 de l’UQTR – Université du Québec à Trois-Rivières pour l’accueil.

Franck Calard, Kehlen Jenisch Kehlen [Danse Yéniche Danse],
installation et dispositif sonore présenté le 9 avril 2025 à la Galerie R3 de l’Université du Québec à Trois-Rivières, photographies, projections vidéo, dispositif sonore, tulle, bois, ceinture fléchée et archives, dimensions variables, 2025.